Une étude révèle que si les trois quarts des réfugiés syriens souhaitent rentrer dans leur pays, la plupart considère que les conditions d’un retour sûr ne sont pas remplies. Leurs priorités : la réforme du système sécuritaire et un changement de régime.
Ils ne sont chez eux nulle part. Ni à Berlin, où certains responsables conservateurs les accusent d’être des criminels. Ni à Ankara, où Erdogan s’en sert comme un instrument de chantage. Ni en Grèce, où le gouvernement les expulse en secret – et en toute illégalité – vers les eaux internationales. Encore moins à Beyrouth, où on leur reproche de menacer l’équilibre communautaire. Impossible pourtant de rentrer chez eux, en Syrie, où ils craignent pour leur vie.
L’Association syrienne pour la dignité des citoyens (ASDC) a publié un rapport sur les conditions minimales d’un retour en Syrie pour les personnes qui l’ont fuie. Le document se base sur les témoignages de 1 100 individus – réfugiés au Proche-Orient et en Europe ou déplacés internes – contraints de quitter leur foyer entre 2011 et 2019. Si les trois quarts déclarent souhaiter à terme rentrer chez eux, l’écrasante majorité, indépendamment de leur situation géographique actuelle et de leur appartenance politique, considère que les conditions d’un retour sûr et durable ne sont à ce jour pas réunies. «Je ne rentrerai pas tant que le régime d’Assad est au pouvoir et qu’il n’y a pas d’Etat démocratique», confie Abed (1), 28 ans. Originaire de Damas, il a fui la guerre en 2013 après avoir obtenu une bourse pour étudier aux Etats-Unis. Il n’a jamais revu sa famille, restée en Syrie.
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Plus de la moitié des participants de l’étude vivaient dans des zones contrôlées par le régime lors de leur départ, contre 19% détenues par des factions de l’opposition et 16% par le groupe Etat islamique (qui a perdu ses derniers territoires en Syrie en mars 2019). Près de 90% d’entre eux ont quitté la Syrie pour des raisons sécuritaires. L’étude précise que les territoires dans lesquels ces individus souhaitent rentrer sont désormais détenus à 82% par le régime syrien.
Après neuf ans de guerre, la progression du régime d’Al-Assad et de ses alliés dans la reconquête des territoires est indéniable. Et l’impact potentiel d’une présence prolongée des Syriens – le plus grand nombre de déplacés de force dans le monde – inquiète les pays hôtes. Au Liban, en Turquie et en Jordanie, qui accueillent à eux trois plus de 5 millions de Syriens exilés, les autorités locales s’activent pour renvoyer dans leur pays les réfugiés, perçus comme un poids pour leur économie.
Violations des droits humains
Les participants à l’étude ont été invités à choisir cinq conditions préalables à leur retour sur dix domaines clés. Pour près de 75% d’entre eux, la première priorité concerne les actions de l’appareil sécuritaire du régime et la nécessité de le démanteler. «Je crains surtout d’être enrôlé de force par l’armée ou d’être kidnappé par les Chabiha [agents secrets officieux au service d’Assad, ndlr] qui pourraient demander une rançon à ma famille s’ils découvrent que je suis contre le régime», ajoute Abed.
Selon Amnesty International, les «civils qui rentrent en Syrie doivent se soumettre à une vérification de sécurité qui comprend notamment un interrogatoire par les forces de sécurité syriennes, responsables de violations des droits humains généralisées et systématiques constituant des crimes contre l’humanité». En 2019, l’ASDC avait publié un rapport sur les conditions de réinstallation de 300 personnes rentrées en Syrie : les deux tiers ont affirmé avoir été extorqués par les autorités ou avoir eu un membre de leur famille menacé d’arrestation.
La deuxième condition d’un retour est d’ordre politique : 67% des participants ont identifié le départ du régime syrien et de ses figures clés comme l’une de leurs priorités. «Les quatre principaux domaines prioritaires sont directement liés aux actions du régime syrien, à son régime politique oppressif et à l’utilisation répressive des services de sécurité», relève l’étude. En dépit des 380 000 morts causés par la guerre, Bachar al-Assad continue toutefois de s’accrocher au pouvoir. «Nous ne voyons pas de solution politique au conflit», déclarait fin juin Filippo Grandi, Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), lors d’une conférence de donateurs organisée par l’Union européenne et l’ONU.
Retours volontaires»
La situation sécuritaire sur le terrain est également pointée du doigt. Les participants exigent la fin des combats, l’arrêt des bombardements et des assassinats. Le conflit continue de faire rage en Syrie, où des affrontements entre les forces d’Al-Assad et les jihadistes de l’Etat islamique ont encore fait une cinquantaine de morts dans le centre du pays, début juillet. «Il y a plus de régions qui sont devenues plus stables, mais il y a encore des zones en conflit», avait encore mis en garde Filippo Grandi, avant d’ajouter que «les retours de réfugiés doivent se faire de manière volontaire».
De nombreuses ONG mettent toutefois en doute le caractère volontaire de ces retours et dénoncent des mesures visant à resserrer l’étau autour de ces exilés. En juillet 2019, l’ONG Human Rights Watch avait dénoncé une «pression illégitime» exercée par les autorités libanaises et l’expulsion de Syriens par la Turquie. Pour Amnesty International, «de nombreux réfugiés qui émettent le souhait de quitter le Liban ne sont pas en mesure de prendre une décision libre et éclairée» à cause des «conditions déplorables» dans lesquelles ils vivent et le manque «d’informations objectives sur la situation des droits humains» dans leur pays d’origine. Malgré les risques, plusieurs milliers de réfugiés syriens ont déjà quitté le Liban pour rejoindre la Syrie dans le cadre des opérations supervisées par la Sûreté générale libanaise, en coordination avec le régime de Bachar al-Assad. Lequel ne semble néanmoins pas s’impatienter du retour de ses exilés : «La Syrie est à présent plus homogène», avait lâché le président syrien en août 2017.
Dans les pays occidentaux, l’idée d’un retour est encore plus lointaine : 97% des réfugiés syriens en Europe, contre 9% au Liban, se considèrent «bien installés», malgré les différents problèmes auxquels ils sont confrontés, d’après l’ASDC. Ralph, 25 ans, a quitté Alep pour la France en 2012. Il assure qu’il ne retournera jamais en Syrie car, regrette-t-il, «plus rien ne sera comme avant».
(1) Le prénom a été modifié
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