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Moi Jeune : «On déménage tout le temps, c’est la galère»

https://www.liberation.fr/france/2020/02/19/la-zep-et-liberation_1778923

 

Six jeunes migrants, tous mineurs et aidés par l’association Utopia 56, racontent leur errance dans le nord de Paris, leur quotidien, et leur désarroi.

En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits de jeunes migrants installés dans le nord de Paris, entre la Porte de la Chapelle et la Porte d’Aubervilliers, que nous publions aujourd’hui, ont été élaborés lors d’ateliers d’écriture organisés par la ZEP en partenariat avec Utopia 56, une association d’aide aux exilés et notamment aux mineur·e·s non accompagné·e·s.

«Je suis dehors depuis mars 2019. Ça fait cinq jours que je vis dans une caravane, à Porte dorée. Dans cinq jours, je devrai partir, je ne sais pas où, à Porte d’Aubervilliers encore. Quand tu déménages tout le temps, t’es tout le temps en galère. Ici, en France, on n’est rien. Je ne peux compter que sur des associations comme Utopia 56 et les Midis du MIE. Je suis arrivé en décembre 2018, du Mali. Pendant trois semaines, j’ai dormi à côté d’un pont. Puis la police est venue ramasser tout le monde. Après deux mois en foyer, j’ai reçu un courrier qui m’a dit que les mineurs ne peuvent pas rester dans les foyers de majeurs.

Mamadou, 17 ans : «Ici en France, on n’est rien»

«J’ai rencontré un monsieur dans la rue. Il m’a accompagné jusqu’à Rosa-Parks pour me montrer Utopia. Utopia m’a donné la tente. Ils m’ont installé derrière leur local. Il y avait beaucoup de personnes mineures. Il n’y avait pas de bruit, pas de problèmes, on était tranquilles. Je laissais mon sac, on me le volait pas. On pouvait demander beaucoup de choses à Utopia : du shampooing, des chaussures, de l’habillement… Mais la police y a pris mes affaires trois fois. La première fois, elle a pris ma tente ; dedans, il y avait mon téléphone et le Coran. Trois semaines après, elle est venue pour les prendre encore. La troisième fois, c’était pour le changement de camp. Ça faisait trois mois qu’on était là. On est partis s’installer deux semaines à Porte d’Aubervilliers, mais ça n’allait plus du tout. On m’y a volé mon téléphone trois fois. Là-bas, c’est tous des majeurs. On trouvait pas de place. Il y avait un petit coin, tout le monde y pissait. On nous a dit que si on s’y installait, ils iraient quand même. Et la nuit, tout le monde est venu pour pisser là où on dormait. On n’avait pas de place pour mettre nos sacs, on les portait tous les jours, on était fatigués.

«Du coup, Agathe, des Midis du MIE, nous a amenés à Porte dorée. C’est mieux, il n’y a pas de vols, mais c’est loin d’Utopia : une heure avec le métro. Je sais pas comment trouver un foyer. Utopia m’a pas parlé de foyer. Ils m’ont dit d’aller à MSF, qui m’a donné la convocation du juge pour le test des os. Si tu n’es pas reconnu mineur, tu attends, dehors. Je resterai là jusqu’à la réponse du juge. J’ai fait le test le 4 novembre et MSF m’a dit d’attendre deux, trois mois. Mais ça fait un an que je suis là déjà. On perd beaucoup de temps, on n’a pas d’école, on fait rien. Je suis fatigué de tout ça. Si on me donne la réponse quand j’aurai 18 ans, je ne sais pas ce qu’ils vont me dire, ce qui va se passer.»

«Dès que je me réveille, il faut être rapide. Je me lève vers 6 ou 7 heures, si j’ai un rendez-vous ou pas. J’ai à peine le temps de me brosser les dents que je dois déjà partir. J’habite dans un campement à Porte d’Aubervilliers et j’ai quarante minutes de marche pour aller à Stalingrad et prendre mon petit-déjeuner. Si j’arrive en retard, il y a moins de choses à manger car beaucoup d’autres personnes viennent se nourrir comme moi. Parfois il reste que du café ou du thé, et il n’y a plus de pain quand j’arrive. Du coup, j’ai faim jusqu’à midi.

«Après, je dois vite partir parce que j’ai trente minutes de marche pour rejoindre Belleville. C’est là-bas que je vais me laver, le problème, c’est qu’il y a beaucoup de queue. On est entre 50 et 60 personnes pour deux douches. Ça m’arrive de ne pas me laver pendant trois ou quatre jours parce que j’arrive en retard. Et parfois, je dois choisir entre me doucher et manger. On doit arriver avant 11 h 30, sinon on peut plus y aller. Souvent je dois bien attendre trente minutes avant de pouvoir passer sous l’eau. Je n’ai que cinq minutes pour me laver parce que d’autres attendent leur tour. Si jamais on met plus de huit minutes, on vient taper sur la porte pour nous dire que c’est terminé et qu’il faut sortir.

«Ensuite, direction Couronnes, pour aller manger à l’association les Midis du MIE. Heureusement, c’est qu’à cinq minutes à pieds. Là-bas, y a toujours les mêmes 50-60 mineurs. Je trouve toujours à manger, mais c’est encore la queue. Si on arrive après 14 heures, on nous dit : «Désolé, c’est fini.» Je me dépêche pour aller à la bibliothèque à Porte de la Villette pour pouvoir brancher mon téléphone sur une prise, parce que parfois on doit attendre deux heures. Je pars vers 17 heures pour aller manger à Porte de la Villette. On peut y aller à partir de 18 heures. Je suis fatigué d’attendre, il y a encore la queue. J’ai trente minutes de marche pour retourner à Porte d’Aubervilliers. A 19 heures, on se rejoint à Rosa-Parks pour discuter, et vers 20 heures on va chercher nos tentes à Utopia. Si on vient après 22 heures, on peut plus avoir de tente. Je mets vingt minutes à monter ma tente. Vers 22 h 30, je peux enfin dormir. Mais demain, ça recommence.»

Sidibé, 16 ans : «C’est le téléphone qui gère mes affaires»

«C’est impossible de vivre sans téléphone, parce que c’est le téléphone qui gère mes affaires. Je peux pas contacter les assos ou être hébergé sans téléphone. C’est important parce que ce sont les assos qui m’aident. Il y a Utopia 56 qui t’accompagne à MSF si tu connais pas, MSF pour les démarches, les Midis du MIE qui donne la nourriture, des vêtements aux ados, et dit s’il y a un spectacle de cirque. Et Timmy pour les cours de français. Timmy, ils m’appellent pour me dire quand il y a des cours ou quand j’ai pas pu y aller. MSF, ils m’appellent s’il y a un rendez-vous : ils m’ont appelé trois fois pour les démarches sur ma minorité. Les Midis du MIE m’appellent pour que je sois hébergé deux jours, trois jours… parce qu’en ce moment, je dors dans la rue. Le téléphone, c’est aussi important pour le GPS, si une asso me donne une adresse où je dois aller. Et puis si je tombe malade, faut que j’appelle le médecin. Sinon, comment je vais faire ? C’est arrivé à un ami, il a dû appeler les urgences. Autre exemple : une personne d’Utopia est venue nous dire que les policiers vont venir Porte d’Aubervilliers, et comme ça on peut prévenir par téléphone les autres qui dorment là-bas.

«Mais avec la langue, c’est compliqué. Le français, c’est pas facile. Quand on m’appelle, je passe le téléphone à quelqu’un d’autre pour qu’il traduise. Il y a toujours un ami avec moi qui peut traduire du bambara ou du soninké en français. Ça m’est déjà arrivé d’être seul et c’était compliqué, parce que je savais pas quoi dire. Quand je comprends pas qui parle, je raccroche. Je vais voir un ami, je bippe le numéro, ils me rappellent et je passe le téléphone à mon ami. Mon téléphone, je l’ai depuis l’Espagne, mais j’ai une puce française. Avec les habits, la puce de téléphone c’est la première chose qu’on m’a donnée quand je suis arrivé en France.»

Niaraga, 16 ans : «Le froid m’empêchait complètement de dormir, toutes les nuits ça me réveillait»

«Depuis mon arrivée en France en juin 2019 jusqu’en novembre, j’ai dormi dehors. En septembre, octobre, le plus fatigant, c’était le froid. Parfois, ça m’empêchait complètement de dormir. Toutes les nuits, ça me réveillait. Pour se réchauffer, on se collait avec mon ami et on mettait des couvertures sur nous. C’était une couverture par personne. C’est Utopia 56 qui donne les couvertures. Ils donnent aussi des tentes, des chaussettes. J’ai demandé des pulls, mais il n’y en avait pas. Mon manteau, c’est une dame de [l’association] les Midis du MIE qui me l’a donné. Je dormais Porte d’Aubervilliers. Toutes les deux ou trois semaines, la police nous demandait de nous en aller. On était obligés de prendre et remettre nos affaires à chaque fois. Je me suis déplacé dans deux foyers, mais ils disaient qu’il y avait pas de place. Le froid, ça me fatiguait tellement que parfois je dormais pendant les cours de français, parce que j’avais pas dormi et que j’arrivais pas à me concentrer. C’était difficile, mais j’ai tellement envie de parler français que ça m’a donné du courage. «Manger, c’est dehors aussi… à Porte de la Villette, ou à Couronnes, au jardin. Mais on y trouve du café, du thé. Maintenant, ça va mieux car depuis novembre je suis dans une caravane à Porte dorée, mais on sait jamais. C’est Agathe, des Midis du MIE, qui m’y a logé. Dedans, il fait chaud, il y a le chauffage. Je dors bien, je suis tranquille. C’est trop bien.

«Hier, il pleuvait et j’ai pu rester toute la journée dans la caravane à boire du thé, du jus, du lait, à manger des biscuits et des bananes. Il y a un salon avec deux lits dedans. Mais si je trouvais une maison, on serait mieux, parce que c’est dans un champ, à un kilomètre du métro. C’est loin parce qu’on marche déjà beaucoup toute la journée. Quand je vais à la bibliothèque pour me réchauffer, je parle sur Facebook avec mes amis et ma famille qui sont au Mali. Je leur dis pas que j’ai dormi dehors et que maintenant je dors dans une caravane. Ils sont déjà inquiets pour moi, et si je leur dis, ils vont se faire trop de souci. Si pour un parent, son enfant dort dehors, il va plus dormir lui non plus.»

Fofana, 16 ans : «Ça m’arrive de ne pas me laver pendant trois jours, parfois je dois choisir entre me doucher et manger»

«Je suis dehors depuis mars 2019. Ça fait cinq jours que je vis dans une caravane, à Porte dorée. Dans cinq jours, je devrai partir, je ne sais pas où, à Porte d’Aubervilliers encore. Quand tu déménages tout le temps, t’es tout le temps en galère. Ici, en France, on n’est rien. Je ne peux compter que sur des associations comme Utopia 56 et les Midis du MIE. Je suis arrivé en décembre 2018, du Mali. Pendant trois semaines, j’ai dormi à côté d’un pont. Puis la police est venue ramasser tout le monde. Après deux mois en foyer, j’ai reçu un courrier qui m’a dit que les mineurs ne peuvent pas rester dans les foyers de majeurs.

«J’ai rencontré un monsieur dans la rue. Il m’a accompagné jusqu’à Rosa-Parks pour me montrer Utopia. Utopia m’a donné la tente. Ils m’ont installé derrière leur local. Il y avait beaucoup de personnes mineures. Il n’y avait pas de bruit, pas de problèmes, on était tranquilles. Je laissais mon sac, on me le volait pas. On pouvait demander beaucoup de choses à Utopia : du shampooing, des chaussures, de l’habillement… Mais la police y a pris mes affaires trois fois. La première fois, elle a pris ma tente ; dedans, il y avait mon téléphone et le Coran. Trois semaines après, elle est venue pour les prendre encore. La troisième fois, c’était pour le changement de camp. Ça faisait trois mois qu’on était là. On est partis s’installer deux semaines à Porte d’Aubervilliers, mais ça n’allait plus du tout. On m’y a volé mon téléphone trois fois. Là-bas, c’est tous des majeurs. On trouvait pas de place. Il y avait un petit coin, tout le monde y pissait. On nous a dit que si on s’y installait, ils iraient quand même. Et la nuit, tout le monde est venu pour pisser là où on dormait. On n’avait pas de place pour mettre nos sacs, on les portait tous les jours, on était fatigués.

«Du coup, Agathe, des Midis du MIE, nous a amenés à Porte dorée. C’est mieux, il n’y a pas de vols, mais c’est loin d’Utopia : une heure avec le métro. Je sais pas comment trouver un foyer. Utopia m’a pas parlé de foyer. Ils m’ont dit d’aller à MSF, qui m’a donné la convocation du juge pour le test des os. Si tu n’es pas reconnu mineur, tu attends, dehors. Je resterai là jusqu’à la réponse du juge. J’ai fait le test le 4 novembre et MSF m’a dit d’attendre deux, trois mois. Mais ça fait un an que je suis là déjà. On perd beaucoup de temps, on n’a pas d’école, on fait rien. Je suis fatigué de tout ça. Si on me donne la réponse quand j’aurai 18 ans, je ne sais pas ce qu’ils vont me dire, ce qui va se passer.»

«Dès que je me réveille, il faut être rapide. Je me lève vers 6 ou 7 heures, si j’ai un rendez-vous ou pas. J’ai à peine le temps de me brosser les dents que je dois déjà partir. J’habite dans un campement à Porte d’Aubervilliers et j’ai quarante minutes de marche pour aller à Stalingrad et prendre mon petit-déjeuner. Si j’arrive en retard, il y a moins de choses à manger car beaucoup d’autres personnes viennent se nourrir comme moi. Parfois il reste que du café ou du thé, et il n’y a plus de pain quand j’arrive. Du coup, j’ai faim jusqu’à midi.

«Après, je dois vite partir parce que j’ai trente minutes de marche pour rejoindre Belleville. C’est là-bas que je vais me laver, le problème, c’est qu’il y a beaucoup de queue. On est entre 50 et 60 personnes pour deux douches. Ça m’arrive de ne pas me laver pendant trois ou quatre jours parce que j’arrive en retard. Et parfois, je dois choisir entre me doucher et manger. On doit arriver avant 11 h 30, sinon on peut plus y aller. Souvent je dois bien attendre trente minutes avant de pouvoir passer sous l’eau. Je n’ai que cinq minutes pour me laver parce que d’autres attendent leur tour. Si jamais on met plus de huit minutes, on vient taper sur la porte pour nous dire que c’est terminé et qu’il faut sortir.

«Ensuite, direction Couronnes, pour aller manger à l’association les Midis du MIE. Heureusement, c’est qu’à cinq minutes à pieds. Là-bas, y a toujours les mêmes 50-60 mineurs. Je trouve toujours à manger, mais c’est encore la queue. Si on arrive après 14 heures, on nous dit : «Désolé, c’est fini.» Je me dépêche pour aller à la bibliothèque à Porte de la Villette pour pouvoir brancher mon téléphone sur une prise, parce que parfois on doit attendre deux heures. Je pars vers 17 heures pour aller manger à Porte de la Villette. On peut y aller à partir de 18 heures. Je suis fatigué d’attendre, il y a encore la queue. J’ai trente minutes de marche pour retourner à Porte d’Aubervilliers. A 19 heures, on se rejoint à Rosa-Parks pour discuter, et vers 20 heures on va chercher nos tentes à Utopia. Si on vient après 22 heures, on peut plus avoir de tente. Je mets vingt minutes à monter ma tente. Vers 22 h 30, je peux enfin dormir. Mais demain, ça recommence.»

Traoré, 17 ans : «La bibliothèque c’est pas la rue, y a de la sécurité»

«Depuis le mois d’août, je suis à Paris. Je suis arrivé du Mali, je ne savais pas comment faire, où aller. Alors depuis, je suis à la rue. Vivre comme ça, c’est des journées compliquées, alors je passe beaucoup de temps à la bibliothèque. On reste là-bas pour se mettre au chaud, parce que dehors, en ce moment, il fait froid, y a beaucoup de pluie. La bibliothèque où je vais, à Porte de la Villette, est grande. On y va à plusieurs, les gens de la bibliothèque sont gentils. Y a beaucoup de livres et d’ordinateurs. Moi, je me pose sur les chaises parce que c’est là qu’il y a les chargeurs. Pour aller sur l’ordinateur, il faut s’inscrire avec une pièce d’identité. Mais moi, j’ai mon téléphone et y a du wi-fi gratuit. Je branche mon téléphone et après, soit je lis un livre soit je regarde un film. Un livre, comme ça, n’importe lequel, juste pour m’entraîner. Ou j’écoute de la musique : du rap français ou malien !

«J’y reste longtemps, parfois cinq heures, de 13 heures à 18 heures. Entre les deux repas que je vais récupérer à une association. La bibliothèque, c’est pas la rue, c’est calme, y a de la sécurité. Alors que dehors, là où je dors à Porte d’Aubervilliers, c’est difficile. Je dors pas bien parce que c’est dur, y a du bruit, je pense aux voleurs et à la police. Dans la rue, y a tout, même de la violence. Au moindre bruit, je me réveille. Si c’est pas la bibliothèque, je vais métro Couronnes pour les cours de français ou au jardin pour jouer au foot. Tout ça, c’est pour passer le temps ou me faire plaisir. Tout ça en attendant le juge. J’attends sa réponse pour que ça change, mais je crois qu’il m’a oublié. J’attends un rendez-vous juridique. Tout ça pour montrer que j’ai 17 ans.»

ZEP Zone d’expression prioritaire Dessin James Albon

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