Réfugiés dans l’UE : «Il n’y a pas de liste commune des pays d’origine considérés comme sûrs»
Pour le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Didier Leschi, le manque de convergence dans l’UE complique le système d’accueil des réfugiés.
Didier Leschi est directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), un organisme rattaché au ministère de l’Intérieur chargé d’organiser l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en France.
Depuis la crise migratoire de 2015, comment a évolué le nombre de demandes d’asile déposées en France ?
Les demandes d’asile ont continué à augmenter dans notre pays, alors même qu’elles ont baissé au niveau européen. La France a vécu après coup la poussée migratoire de 2015. L’année dernière, 177 000 demandes d’asile ont été introduites chez nous, soit à peu près autant qu’en Allemagne. Et pour la première fois depuis le début des années 2000, la France a enregistré plus de premières demandes que l’Allemagne.
Comment l’expliquer ?
La France est un pays de rebond pour ceux qui ont été déboutés dans les pays voisins. C’est le cas par exemple des Afghans. On observe aussi un décalage entre les premières nationalités qui entrent en Europe et celles qui arrivent en France. Ici, la demande d’asile a été plus le fait d’Afghans, de personnes venues d’Afrique subsaharienne, d’Albanie ou de Géorgie, que de Syriens ou d’Irakiens. En 2019, les Albanais et les Géorgiens représentaient les deuxième et troisième nationalités qui demandaient le plus l’asile ici. Même si peu d’entre eux l’obtiennent, le pourcentage de refus est plus faible que chez nos voisins.
Ces divergences entre Etats n’empêchent-elles pas le système européen d’accueil de fonctionner correctement ?
Les difficultés tiennent à plusieurs éléments. Comme il n’y a pas de liste commune des pays d’origine considérés comme sûrs, le pourcentage de protection en fonction des nationalités varie d’un pays à l’autre. Le refus par un membre de l’UE d’accorder l’asile à une personne n’a pas d’effet définitif dans l’espace européen. C’est pour cela que les Afghans qui arrivent en France ont déjà vu leurs demandes d’asile refusées deux fois en Europe en moyenne. Cette absence de convergence entre les pays européens a des effets lourds sur notre système. Les demandeurs d’asile ne vont pas n’importe où, ils raisonnent en fonction de leurs capacités à s’installer dans tel ou tel pays, et de l’appréciation qu’ils ont de l’accueil et de la protection offerts par ce pays…
Mais aucune stratégie européenne n’a vraiment fonctionné. Ni le règlement de Dublin ni les quotas de répartition de 2015…
La question qu’il fallait poser à l’époque c’est : quelles sont les personnes prises en charge dans cette répartition ? Parle-t-on de celles qui sont considérées comme ayant un besoin manifeste de protection, ou de tout le monde ? C’est une question d’autant plus difficile que beaucoup de migrants ne relèvent pas de la protection au sens de la convention de Genève [qui encadre le statut des réfugiés, ndlr]. Cela pose la question des retours. Les Etats européens hésitent à prendre en charge des personnes qui ne relèvent pas clairement de la convention de Genève, parce qu’organiser les retours vers les pays d’origine est difficile. Mais si le mécanisme institutionnel n’a pas bien fonctionné, les demandeurs d’asile ont organisé eux-mêmes leur répartition, en se dirigeant plutôt vers les pays d’Europe de l’Ouest.
La France n’a accueilli qu’environ 4 600 demandeurs d’asile dans le cadre du mécanisme de répartition, alors qu’elle se fixait un objectif de 19 000…
La France est le pays qui a le plus accueilli dans le cadre du mécanisme, après l’Allemagne. Mais ne sont relocalisées que les personnes qui ont manifestement besoin de protection, ce qui supposait que leur demande d’asile soit préalablement traitée. C’est ce qui a été difficile à organiser, en particulier à partir de la Grèce.
Quel bilan peut-on tirer de l’intégration des personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ?
La qualification ou le niveau linguistique des réfugiés ne sont généralement pas suffisants pour qu’ils soient intégrés sur le marché du travail. Ils se heurtent aussi aux problèmes de logement. L’essentiel de leur parcours vers une habitation se fait à partir des contingents préfectoraux de logements sociaux. Les collectivités locales doivent s’impliquer davantage. Depuis 2015, beaucoup d’entre elles sont présentes sur le sujet du premier accueil, pour tenter de souligner que l’Etat n’en fait pas suffisamment, mais elles se démobilisent une fois que les personnes obtiennent le statut de réfugié et qu’il s’agit de les accompagner vers l’autonomie. Il serait pourtant d’une importance majeure de faire la démonstration qu’on peut intégrer les réfugiés, en articulant logement et emploi.