Les autorités britanniques, qui coopèrent étroitement avec leurs homologues français, demandent un renforcement des contrôles pour arrêter les départs clandestins en bateau.
Par Eric Albert Publié hier à 10h09, mis à jour hier à 20h19
Les agents des forces frontalières britanniques aident les migrants avec des enfants, dans le port de Douvres, sur la côte sud-est de l’Angleterre, le 9 août . GLYN KIRK / AFP
Soixante-cinq migrants sur quatre embarcations de fortune secourus dans les eaux britanniques dimanche 9 août ; 151 autres sur quinze bateaux la veille ; 146 et 235 migrants, encore, les deux jours précédents… Depuis le début de l’été, les bateaux d’immigrés clandestins tentant la traversée de la Manche pour se rendre au Royaume-Uni se multiplient.
Profitant du beau temps et de la mer calme, ils embarquent au petit matin des plages françaises et tentent de rejoindre les côtes anglaises, distantes d’une trentaine de kilomètres au passage le plus étroit. La plupart utilisent de petits canots pneumatiques motorisés, s’entassant dans des conditions dangereuses. Certains tentent même leur chance dans un simple kayak. Des hommes, des femmes, des enfants, certains en très bas âge, sont arrivés. Ils viennent d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan ou encore du Yémen…
Le soudain afflux de migrants a provoqué la colère des autorités britanniques, qui accusent en creux la France de fermer les yeux. Cultivant son image ultraconservatrice, Priti Patel, la ministre de l’intérieur, est montée à bord d’un patrouilleur des gardes-côtes britanniques lundi 10 août, arborant gilet de sauvetage et ton ferme : « Le nombre de migrants arrivant sur les côtes est absolument épouvantable et honteux. » Elle demande aux autorités françaises de tout faire pour rendre la traversée de la Manche « impraticable », d’une part en empêchant les départs des bateaux, et d’autre part en acceptant le retour des migrants qui auraient atteint les eaux britanniques. « La France et les autres Etats de l’UE sont des pays sûrs. Les vrais réfugiés devraient y demander l’asile, plutôt que de risquer leur vie et de violer la loi en venant au Royaume-Uni », estime-t-elle.
Filières de passeurs
Un groupe de migrants se repose sur la plage en attendant les responsables des forces frontalières britanniques à Dungeness, dans le sud de l’Angleterre, le 6 août. Susan Pilcher / APDerrière l’écume politique, la réalité est pourtant que les autorités françaises et britanniques coopèrent étroitement sur la gestion des migrants depuis deux décennies. Le traité du Touquet, signé en 2003, a mis en place les bases de l’accord : les Français contrôlent la frontière et empêchent le passage des clandestins ; en échange, les Britanniques financent une partie des opérations.
En 2015, au plus fort de la crise européenne des réfugiés, le Royaume-Uni a ainsi payé pour le renforcement des barrières et de la sécurité autour du port de Calais et du tunnel sous la Manche. La traversée, que les clandestins effectuaient essentiellement à l’arrière de camions, est devenue beaucoup plus difficile.
Dès l’année suivante, les premières tentatives de traversée par bateau ont fait leur apparition. Le flux s’est accéléré à l’hiver 2018, et a augmenté fortement en 2020. De janvier à juillet, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a compté 342 tentatives de traversée totalisant 4 192 migrants, presque le double de la même période en 2019. « Ce n’est pas surprenant que le nombre de passages augmente, note Bridget Chapman, de l’association Kent Refugee Action Network. Du côté français, les autorités confisquent les tentes et la nourriture des migrants, les poussant à prendre plus de risques. Avec le beau temps, et le passage désormais très difficile par les autres chemins, beaucoup essaient la traversée. » Par ailleurs, des filières de passeurs, notamment kurdes, se sont mises en place.
Mardi, le sous-secrétaire d’Etat britannique à l’immigration, Chris Philp, a été reçu au ministère de l’intérieur à Paris. Il a annoncé la nomination de Dan O’Mahoney, un ancien militaire, pour diriger la lutte contre les clandestins dans la Manche. Ce dernier doit se rendre en France dans les prochains jours pour mettre en place de nouvelles opérations visant à enrayer ce trafic.
Loupe déformante
Dans l’atmosphère post-Brexit, où « les Britanniques veulent reprendre le contrôle de leurs frontières », selon la ministre de l’intérieur, Mme Patel, Londres laisse entendre que les accords avec la France pourraient être remis en cause. Objectif : renvoyer plus facilement les migrants qui arriveraient dans leurs eaux. « Nous devons revoir notre cadre légal », estime Boris Johnson, le premier ministre. Un tel changement nécessite cependant, par définition, l’accord des Français. « Cela démontre à quel point la promesse de reprendre le contrôle est vide de sens », s’est agacé sur la BBC Peter Ricketts, un ancien ambassadeur britannique en France.
Un navire de la Force frontalière aide un groupe de personnes soupçonnées d’être des migrants à bord depuis leur canot pneumatique dans la Manche, le 10 août. Gareth Fuller / APCette controverse au cœur de l’été fait aussi effet de loupe déformante. Grâce à sa géographie protégée par la mer, le Royaume-Uni demeure peu touché par les vagues d’immigration clandestine. En 2019, l’Allemagne a reçu 142 000 demandes d’asile, la France 119 000, contre 44 000 outre-Manche. « La réaction des autorités britanniques est inhumaine, dénonce Mme Chapman. Il n’est pas acceptable de dire que les Français doivent recevoir tous les migrants. »