Echos de Calais

TRIBUNE LIBRE

Le démantèlement du  bidonville de Calais au jour le jour, 23-28 octobre 2016. Témoignage et impressions par Martine Devries.

Dimanche 

Le démantèlement commence demain, mais la véritable opération, la com’, elle, a bien commencé depuis plusieurs jours : dans la presse, à la radio, le démantèlement est annoncé, le gouvernement est à la hauteur, il est ferme et efficace, voyez comme on est grand, comme on est humain, comme on est généreux : on ferme cet endroit affreux et indigne, on octroie un hébergement à tout le monde, sans exiger de papiers, on permet même à des étudiants d’aller étudier à Lille…

Rien sur les exilés qui devancent l’appel et partent dès maintenant vers des lieux misérables, précaires et exclus, pour éviter de voir et de subir ça.

Rien sur les personnes qui se retrouveront dans des centres où ils ne sauront pas comment faire les papiers, la demande d’asile…

Rien surtout sur ceux, la moitié peut-être, qui ne pourront pas demander l’asile car, au vu des lois actuelles, ils n’y sont pas autorisés : ils ont des empreintes, ou ont déjà fait une demande d’asile dans un autre pays européen, l’Italie le plus souvent ; ou bien, ils ont déjà vécu en UK et ils en ont été expulsés.

Et ceux qui acceptent de monter dans un bus, parce que c’est ça ou subir la violence de l’expulsion, mais qui ne veulent pas rester en France pour souvent de bonnes raisons : ils ont de la famille en UK, ou des amis, ils parlent anglais etc… De ceux là, on ne parle pas ces jours ci. Où vont-ils aller, après  ? comment vont-ils « remonter » à Calais ou sur la côte  ?

On ne parle pas non plus de ceux qui, au contraire des précédents, viennent de Paris, ou des camps de la région, et tentent d’arriver à Calais, pour bénéficier de cette opération et obtenir enfin un hébergement dans un lieu qu’ils espèrent sûr, et accueillant. Ceux là sont arrêtés, au facies, avant d’arriver à Calais, empêchés d’entrer en gare de Lille, de Paris ou de Hazebrouck. Ceux là risqueraient de grossir le nombre de ceux qui doivent partir de Calais. Ce que veut le Gouvernement, c’est vider Calais, pas forcément mettre le maximum de gens en sécurité et à l’abri. Quant à tenir compte de la volonté des exilés, apparemment, il n’en est pas question ! Pour la forme, ceux qui partent, auront la chance de «  choisir entre deux régions ». Ils doivent être reconnaissants !

Donc, opération réussie à J-1 pour les autorités : aucun doute sur le bien fondé de l’opération, minutieusement et intelligemment prévue, organisée, nul doute réalisée !

Peu importe la contestation des associations de bénévoles, le soutien que leur a apporté le défenseur des droits lors du référé qui a autorisé l’opération. Effacé le souvenir des précédentes expulsions, où la mise en rétention avait cyniquement été utilisée pour des personnes qui pourtant ne pouvaient pas être expulsées de France. Effacé le souvenir des bulldozer détruisant abris précaires, mais aussi lieux de vie et de résilience. Et vive le récent accord avec l’Afghanistan qui permettra cette fois d’en renvoyer la-bas!

Démantèlement de la jungle: premier jour (lundi)

J’y étais, et pourtant je n’ai rien vu, enfin, rien de ce qu’il fallait voir…

Oui, j’ai vu la noria des media, j’ai vu les exilés en début de journée, très contents de partir, larges sourires, balluchons, paquets, valises et même avec des roulettes ! La queue était paisible, joyeuse même. Certains attendaient un hébergement depuis des semaines, ou des mois pour les dublinés. Alors, là, hébergement avec transport, c’était une aubaine.

J’ai vu les commerces fermés, les rues désertées, les abris éventrés, en partie brûlés…

J’ai vu les « Emmaus » refoulés à l’entrée de la zone, eux qui sont dans la 1ere ligne de l’aide aux exilés.

Je n’ai pas vu, mais j’ai su que les avocats aussi avaient été refoulés.


Je n’ai pas vu – c’était dans le hangar qui faisait office de sas – la queue des mineurs qu’on a fait attendre des heures, sans explication ni encadrement, et qui se sont bousculés, et ont été « calmés » par les policiers. Seulement 300 d’entre eux ont pu être hébergés dans le camp de conteneurs ce premier jour, les autres ont du retourner pour la nuit dans la jungle, avec la déception qu’on imagine, et les risques nettement majorés, puisque beaucoup d’adultes rassurants et protecteurs étaient partis. Il y a eu aussi ceux qu’on n’a pas voulu croire mineurs, après un « entretien » trop bref, et qu’on n’a pas informé de la possibilité de recours.

Je n’ai pas vu, mais j’ai su que, pour les mineurs autorisés à rejoindre de la famille en Angleterre, il n’y avait pas de vérification de la réalité de la famille, et pas de suivi prévu, avec le risque d’être sous la tutelle de personnes dépourvues de scrupules, avec le risque d’être soumis à la traite. J’ai su aussi que ces mineurs, heureux de partir légalement, risquaient de voir contester la-bas leur minorité, et donc d’être expulsés dans leur pays d’origine, notamment les afghans.

J’ai vu les bénévoles, dès l’aube, et surtout les jours qui précédaient, expliquer, remplir des documents, se démener pour permettre aux plus faibles d’accéder à la bonne file, aux bons interlocuteurs.

J’ai vu les adieux aux amis,

J’ai vu, dans le sens inverse, des exilés arriver en courant, propres et contents, venant en blablacar (puisqu’ils étaient interdits dans les trains) depuis Paris, Norrent Fontes ou ailleurs, pour profiter de l’hébergement promis ici, et refusé ailleurs.

Et, à la fin de la journée, tandis que les media et les autorités affirmaient que tout s’était bien passé, et que les 60 bus étaient partis, je savais que certains avaient peur, certains étaient victimes d’injustice, et d’autres pleins d’espoir.

Deuxième jour: mardi

Le jour se lève encore sur l’espoir, ceux qui n’ont pas pu partir hier sont là, font la queue depuis 1heure ou deux, les sourires et la bonne humeur surmontent la fatigue et la peur.

Le jour se lève ( pour la dernière fois?) sur ce lieu étrange, sur les abris, les flaques, les broussailles, les affiches, les peintures et les tags , les pots de fleurs et les décorations. Même les détritus , dans la brume, participent étrangement à la poésie du moment. Un générateur marche encore, malgré la pénurie de pétrole: les autorités bloquent l’entrée de combustibles depuis des jours. Ici et là, un feu de bois brûle au milieu du chemin, alimenté par le matériel des abris. Les habitants sont peu visibles, c’est le réveil. Et bizarrement, les oiseaux chantent, même ici…

Mais près du hangar, il y a déjà beaucoup de monde, comme hier, les bénévoles, les policiers, les exilés , et les balluchons qui gardent la place, bien alignés l’un derrière l’autre.

A la fin de la journée, 40 bus auront quitté les lieux. Mais c’est fini, les volontaires au départ sont tous partis, il reste environ 3 à 4000 personnes qui veulent rester ici : parce que l’Angleterre est leur seule destination, ou parce qu’ils savent, c’est confirmé aujourd’hui, qu’arrivés dans les centres, ceux qui ont « donné » leurs empreintes dans un autre pays seront renvoyés dans ce pays. Ils ne veulent pas partir parce que certains seront mis en centre de rétention. Ils ne partiront pas. Les femmes ont fait une « manif » car elles imaginent pouvoir obtenir, comme les mineurs, des possibilités de regroupement familial en Angleterre : les pauvres !

La destruction des abris a commencé dans l’après-midi.

Le temps de l’euphorie et de l’obéissance est fini.

Troisième jour : mercredi

Une journée de dépit, d’inquiétude et de colère.

Hier soir, plusieurs centaines de mineurs sont restés sur le carreau, obligés de passer une nouvelle nuit dans la jungle. J’en ai vu ce matin qui dormaient sous le pont de la rocade, enveloppés dans des bâches, comme au pas bon vieux temps de la jungle rue de Moscou.

Hier soir, de nombreux incendies dans le bidonville : colère, désespoir, malveillance ? Je lis ce matin que la préfète a dit « C’est leur coutume », ça me fait bouillir de rage : elle est anthropologue maintenant ? Elle contribue ainsi à faire croire que ces gens ne sont pas comme nous, pas aussi civilisés, pas aussi respectueux… justifiant ainsi implicitement un traitement odieux.

Hier soir aussi, extinction des feux, l’éclairage public est absent, du fait des incendies, ou du fait des autorités ? La préfète aurait mieux fait de faire une déclaration la-dessus.

La queue, bien avant l’aurore, en particulier celle des mineurs, est longue.

Chemin des dunes, la foule est impressionnante, et quelques heures plus tard, j’ai peine à croire à la déclaration de la préfète : « la jungle est vide », dit-elle. Ce n’est pas qu’elle mente : elle fait de la com’, et sa déclaration est reprise en boucle sur les radios, et à la télé, je suppose.

Un grand incendie cet après-midi « oblige » les autorités à bloquer toutes les entrées et les sorties du bidonville. Et la nouvelle tombe : le dispositif s’arrête ce soir. Plus de possibilité d’aller en CAO, même pour les mineurs, que vont-ils devenir ? Oui, certains sont arrivés hier ou ce matin de Paris pour bénéficier de ce dispositif, mais si l’objectif est humanitaire, il y a de quoi s’en réjouir, et ce serait logique de profiter de la présence dans un même lieu de davantage d’exilés, pour leur offrir ce qui a été jugé comme un accueil digne.

Visiblement, ce n’est pas l’objectif, l’objectif c’est de faire disparaître le bidonville, peu importe les exilés. Nul doute que maintenant, ayant convaincu les media de s’en aller (« la jungle est vide »), ayant 2200 policiers sur place, ayant libéré des places en centre de rétention, la chasse au migrant est ouverte, et gare à ceux qui vont la dénoncer ou s’y opposer : ce seront des « no border » !

Vendredi, dernier jour de la semaine

C’est fini.

Il y a ce que j’ai omis d’écrire jusqu’ici :

l’odeur permanente de l’usine chimique voisine « interor »,

le petit avion qui est resté 4 jours au-dessus de la jungle, sans doute pour prendre des photos,

Le SMS que j’ai reçu chez moi mercredi à 10 heures du soir d’une bénévole  : « Est-ce que tu peux loger pour cette nuit une femme qui a été violée dans la jungle la nuit dernière ? »

Les jeunes en vélo dans la jungle et sur les routes aux abords de la jungle, qui font des acrobaties et des imprudences, et qui me saluent, en souriant : « Bonjour, ça va ? », qui occupent le chemin des dunes avec vélos et ballons de foot, et ceux qui vont encore dormir sans abri, à proximité.

L’école laïque du chemin des dunes : plantée toute seule dans la zone Sud démantelée depuis plusieurs mois, avec son petit jardin, et les signes d’accueil visibles : table et fauteils à l’entrée.

Elle persiste jusque ce vendredi 16h30, où elle a été bulldozérisée.

TRIBUNE LIBRE

Extrait du Journal des Jungles numéro 2 (mars/avril/mai 2014)

Calais, jeudi 05 septembre 2013. Un vieux hangar situé rue Mouron, surnommé la « Beer House », est évacué par les forces de police. Entre 100 et 150 exilés, majoritairement soudanais, tchadiens et syriens et avaient trouvé refuge dans ce lieu. Au cours de cette expulsion, 3 responsables de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), dont une seule personne arabophone, étaient présentes avec pour mission de proposer des solutions d’hébergement.

Ces propositions se font de manière sommaire : une interpellation orale et générale dans une seule langue destinée à des personnes de langues différentes subissant dans le même temps une expulsion ; pas d’entretien individualisé donnant un minimum d’informations sur cette proposition (où ? quand ? combien de temps ? quid du suivi de la procédure d’asile en cours ?).

Et pour quelles conditions d’hébergement ? Quelques jours après cette expulsion, plusieurs exilés ayant bénéficié d’une de ces propositions témoignent :

S.I., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

-Comment as-tu été accueilli au foyer ?

Quand nous sommes arrivés, nous avons été reçus par un éducateur. Il n’y avait pas d’interprète. L’éducateur a demandé à un africain qui se trouvait là de nous montrer notre chambre. 8 lits dans une chambre.

Sur place, il y avait une bagarre entre deux personnes. Moi, je suis de nature à ne pas chercher les conflits ni de près ni de loin et au fond de moi, je me suis dit je ne reste pas. J’ai eu peur. Je n’ai pas eu d’explications sur le règlement, pas de repère, avec une grosse inquiétude…

Je suis à Calais depuis le 3 décembre 2012. J’ai trouvé mes repères grâce aux associations. Il faut toujours recommencer, je sais que c’est normal, mais s’il y avait un accueil personnalisé avec un interprète pour expliquer où je suis, quel suivi j’aurai, m’informer sur mon dossier, qui va m’aider à faire le changement d’adresse…me rassurer tout simplement.

Personnellement, je suis suivi par l’hôpital, j’ai des problèmes de santé à cause de ce que j’ai subi dans mon pays d’origine. Je ne supporte pas du tout le bruit. Je ne demande pas une chambre pour moi tout seul, mais que mon problème de santé soit pris en considération. Pour moi l’accueil commence par l’écoute bien sûr avec quelqu’un qui puisse traduire.

À Calais, nous restons trop longtemps sans papier, sans proposition de logement. C’est la 1ère fois qu’on me propose un logement depuis huit mois.

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D.A.J., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

J’ai été conduit dans le même lieu qu’I.S. Moi non plus, je n’ai pas eu d’explication sur le logement, il n’y avait pas d’interprète. C’est un érythréen qui vivait là, mais qui ne parlait pas bien arabe, qui nous a accompagné. Il ne pouvait pas expliquer le règlement tellement qu’il ne parlait que très peu arabe.

Même avant de partir vers l’hébergement, je n’ai pas eu d’explication sur l’endroit où j’allais, sur la durée et si j’allais rester momentanément, en attendant d’être orienter vers d’autre lieu. Je me suis senti comme un prisonnier. On ne m’a pas dit au départ que c’est un foyer d’urgence !!!

Je ne peux pas rester dans un endroit où je ne me sens pas bien dans ma tête, j’aimerais vraiment un endroit où je peux être accueilli dignement, être écouté comme un être humain et être reçu individuellement et non pas à deux personnes à la fois.

Et maintenant, en quittant le foyer, je suis condamné à ne plus avoir de proposition d’hébergement ! Cela fait 5 mois que je suis à Calais et c’est la 1ère fois que j’ai une proposition.

Crédits : Julien Saison

Crédits : Julien Saison

 

Y.H. demandeur d’asile

Je suis arrivé vers 13h, on m’a proposé de manger. J’ai dit merci, je n’avais pas envie de manger et portant j’avais faim…

Mais j’avais besoin de quelqu’un pour parler, être rassuré, savoir ou j’étais. Ils m’ont dit « un interprète va arriver ». Je suis resté attendre sur une chaise jusqu’ 17h, c’est long !!! J’avais commencé à songer à quitter les lieux.

L’interprète m’a expliqué que je devais quitter le foyer à 7h du matin et être de retour vers 18h. Je ne connaissais personne, je me demandais où j’allais passer la journée de 7h à 18h? En plus, pas d’école, pas de repère…

Je n’ai pas attendu qu’on me montre ma chambre, je leur ai dit que je ne pouvais pas rester.

Je souhaite vivement un hébergement qui corresponde à un demandeur d’asile, me sentir accueilli et libre, sans le sentiment d’être en prison. Je suis à Calais depuis avril 2013. C’est la 1ère proposition que j’ai eue.

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G.J., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

J’ai été reçu individuellement mais sans interprète, je n’ai rien compris !!

Ils m’ont montré la chambre, plusieurs lits, mon cœur était serré car ça rassemblait un peu à la prison. Je n’ai eu aucune proposition sur la possibilité d’avoir un interprète par la suite !!

Je considère que ce n’est pas un logement pour un demandeur d’asile, pas d’accueil. J’avais la nette impression que j’étais imposé et que le foyer n’était pas très content de me voir !!!

Je suis resté 40 minutes est c’était déjà trop pour moi !!

C’est la 1ère proposition pour un logement, cela fait 3 mois que je suis à Calais.

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Mariam Guerey, animatrice au Secours Catholique de Calais :

Le vendredi 6 septembre vers 12h, j’ai reçu un coup de téléphone d’un foyer où trois demandeurs d’asile étaient arrivés la veille. L’éducatrice souhaitait savoir où nous en étions par rapport à leurs dossiers pour assurer le suivi. Un demandeur d’asile parmi les trois devait être hospitalisé ce dimanche soir, elle m’a dit que le foyer lui prendra le billet de transport…J’ai eu les trois migrants l’un après l’autre au téléphone, ils m’ont confirmé leur volonté de rester et qu’ils y sont bien.

Chaque situation est différente. Si nous souhaitons que les migrants restent dans les hébergements d’urgence, il faut qu’ils soient bien accueillis, qu’ils sentent qu’il y a une réelle prise en charge et une écoute…

À la prochaine fermeture de squats, il serait intéressant que les migrants sachent vraiment où ils vont être orientés.

Crédits : Julien Saison

Crédits : Julien Saison

.Passeurs d’hospitalité, un regard neuf sur Calais (18.03.2014)

Prenant le relais de Vibrations Migratoires (http://vibrations0migratoires.wordpress.com/) et Voix des Frontières (http://voicesfromtheborders.wordpress.com/), qui ont cessé d’émettre, un nouveau blog prend le relais pour ce concerne la situation des exilés à Calais, Passeurs d’hospitalités : http://passeursdhospitalites.wordpress.com/

Un regard intelligent sur la situation des personnes exilées présentes à Calais, qui plus est documenté et très souvent actualisé : la visite (régulière) du site n’est à pas manquer !

Dessin réalisé par Marie Ternoy

Dessin réalisé par Marie Ternoy

SOAS à Calais, musique sans frontière (12.02.2014) par Martine Devries

Ils sont arrivés d’Angleterre en début d’après-midi  au « camp des syriens » à Calais, sous une pluie battante, et par un vent terrible, leur bateau retardé par la tempête : 9 musiciens à pied, mouillés, mais « battants » ! Le SOAS Ceilidh band ! Ils ont joué toute la journée : sur le camp, sur le lieu de distribution des repas, au Channel lors d’une mini-conférence d’ethnomusicologie avec pour thème: « Calais, point de rencontre des musiques du monde ».  

Le soir, ils ont fait un concert dans la salle du Minck voisine, et enfin, tard, une session dans un bistrot accueillant de la rue de Thermes « absolument fabuleux ». Et ils n’ont pas joué seuls !  Ils ont amené des tambours, et les musiciens et les chanteurs amateurs de différents pays n’ont pas manqué, tout au long de la journée. Il y a eu de la musique syrienne, égyptienne, irlandaise, écossaise,  une chanteuse kurde à faire pleurer d’émotion, des percussions, la samba « Rythms of resistance » et bien d’autres, à travers toutes les frontières, pour un moment au moins.  L’atmosphère était joyeuse, chaleureuse et détendue. A la fin de la soirée, les chaises ont été poussées, et personne n’a pu  résister à l’envie de danser.

Un beau moment vécu ensemble.

Crédits : Julien Saison

Crédits : Julien Saison

Texte de Mariam Guerey, Animatrice au Secours Catholique de Calais, lors du décès de Yemane G. N. :

Il s’appelait Yemane G. N.

Il avait à peine 23 ans.

Yemane a fui son pays, par peur de faire le service militaire forcé.
Yemane avait des problèmes de cœur.
Sur la route du voyage, il a été opéré de son cœur au Soudan.
Une malformation au cœur, avec un espoir que là-bas, il serait sauvé.
Yemane a continué la route vers le pays dont il rêvait : « l’Angleterre ».
Yemane pensait que là-bas, il serait soigné.
Yemane n’aura jamais su, que en France il aurait pu être soigné, mieux même qu’au pays du rêve.
Faute de moyens, de rencontres, d’information et de vrai accueil !!!
Faute de lieu, de papiers d’identité, le suivi médical a été sa mort.
Toujours la peur de la police, les contrôles, obligé de cacher l’identité.
La faute à personne… la faute de ne pas naître européen… c’est plus facile!!!

Yemane est parti sans pouvoir atteindre le rêve du départ.
C’est pour quand le vrai accueil???

Je suis contente, que Yemane soit enfin enterré dans son pays de naissance puisqu’il n’est pas mort dans le pays de son rêve.

Crédits : Sara Prestianni

Crédits : Sara Prestianni

À CALAIS, LES RESCAPÉS DE LAMPEDUSA

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 11 octobre 2013

Ce ne sont pas encore les rescapés du dernier naufrage sur les côtes de Lampedusa qui arrivent à Calais, mais nous verrons probablement certains d’entre eux dans les prochaines semaines. Mais l’augmentation des arrivées à Lampedusa se traduit ici avec quelques semaines de décalages. Le nombre d’Érythréens et d’Éthiopiens augmente dans tous les camps de la région, et ce sont bien les rescapés de traversées trop souvent meurtrières de la Méditerranée, après être passés par les camps libyens qui arrivent ici.

Comme les réfugiés syriens, on ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours compassionnel des responsables politiques et la réalité de l’accueil en Europe.

À Calais, la plupart des Érythréen-ne-s et des Éthiopien-ne-s habitent un squat insalubre qui peut être expulsé d’un jour à l’autre – un arrêté d’insalubrité ayant été affiché. Une partie des femmes et des enfants est hébergée dans un squat ouvert par le mouvement No Border, qui joue depuis plusieurs années le rôle de service social, l’État n’assumant pas ses obligations. Là aussi la mairie pousse à l’expulsion.

Ceux est celles qui remontent directement d’Italie après leur traversée sont souvent sans argent. Ils et elles tentent donc de passer par les moyens les plus risqués.

Un exilé érythréen est mort il y a deux nuits en essayant d’entrer à la nage dans le port. Un petit encadré dans la presse locale, et il rejoint la centaine de personnes mortes à cette frontière depuis la fermeture du centre de Sangatte.

SQUAT 51 BOULEVARD VICTOR HUGO

Par Martine Devries

30 septembre 2013.

C’est la première fois que j’y viens. Par chance, j’arrive en même temps que Valentin et Tom. Devant la maison, des tas de sacs poubelles, en pyramide. Quelques personnes, très visibles puisque noires trainent devant. J’entre. Il y a un brouhaha, et une foule dans cette pièce qui est de la taille habituelle d’une pièce familiale et qui contient à ce moment au moins 40 personnes. Je me demande s’il s’agit d’une AG, tout le monde fait cercle serré autour de ? finalement il s’agit de deux femmes qui font la cuisine. Le bruit des voix est simplement lié au nombre, personne ne se dispute. Et, oui, il y a des femmes. C’est pour ça que je viens : les jeunes bénévoles qui « tiennent le squatt » s’inquiètent de la venue soudaine d’une dizaine de femmes, et de plus, c’est plus difficile à gérer. En principe ce squatt était réservé aux femmes et aux personnes vulnérables. De fait, c’est très difficile d’interdire aux hommes de venir y dormir, il n’y a aucun autre abri possible en ville depuis l’expulsion du squatt rue Mouron en début de mois.

Je regarde, je souris, j’attends un peu avant de me manifester. Ce n’est pas la peine, quelqu’un m’a repéré, et une femme m’aborde, en anglais : c’est S., elle a un rendez-vous d’échographie demain. Je viendrai la chercher et j’irai avec elle, c’est d’accord. Un homme ensuite d’une trentaine d’années, dit qu’une autre femme veut me parler : ce n’est pas possible ici, on me propose la cave, ou dehors. Je choisis dehors, il fait beau. Atze est enceinte de 7 mois, elle n’a pas encore vu de médecin, elle est en France depuis quelques jours, c’est ce que je crois comprendre. Je téléphone pour prendre un rendez-vous à la maternité, c’est très compliqué, et finalement la sage-femme de garde me propose de l’amener tout de suite, c’est parfait. « Elle vient avec sa carte de sécu et ses papiers d’identité » « mais elle n’en a pas », un blanc au bout du fil, j’explique rapidement que la consultation sera prise en charge par la PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé). La sage-femme ne connaît pas la PASS, mais elle se rassure en pensant que la secrétaire est encore là, qui connaît ces choses. Avant de partir, une troisième femme m’aborde, elle est enceinte de 4 mois, et veut voir un médecin. Je remets à demain, deux consultations non urgentes pour la sage-femme des urgences me semblent trop.

Atze monte en voiture, elle est accompagnée de cet homme qui m’a abordé. J’ai eu le temps de lui demander « He is your man ? » Non, et après une hésitation, « He is my brother ». D’accord.

Nous atteignons les urgences de la maternité, c’est au bout du monde ! Enfin, loin dans l’hôpital. La sage-femme est charmante, elle est très contente que je puisse parler en anglais, je lui demande son nom, les présente l’une à l’autre en disant : elle comprend l’anglais.

Examen gynécologique, avec mes explications, ça se passe bien, et chance, Atze n’est pas excisée. Prise de sang, monitoring. Un sourire passe sur son visage quand elle entend le cœur du bébé. Pour l’échographie, il faut attendre un peu, le médecin est occupée. J’explique tout ça et je sors prendre l’air, il fait une chaleur à l’intérieur ! Je passe devant le brother, lui explique que tout va bien et qu’on attend le médecin. Je reviens une heure après, ils sont tous les deux dans la salle d’attente, l’écho est faite, mais ils ne connaissent pas le résultat. Je rejoins le médecin et la sage-femme dans le bureau : tout va bien, hormis une anémie, la grossesse est bien de 7 mois, elle a débuté le 9 Mars. Le médecin explique qu’il n’a pas fait l’étude morphologique, ça prend trop de temps, et on est aux urgences. Je sors, et m’apprête à partir avec eux, quand Atze me demande : Boy or girl ? Je ne sais pas… Je retourne voir le médecin et lui pose la question. « Je n’ai pas regardé » dit-elle.

Sur la route du retour, j’essaie de savoir s’il y a d’autre femmes enceintes dans la maison, apparemment pas. J’explique que pour les autres, si elles veulent prendre la pilule, je peux leur expliquer… Je crois qu’ils ont compris, on en reparlera demain.

Et pour les hommes, on peut consulter, faire une prise de sang ?

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APRÈS L’EXPULSION LA CHASSE

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 6 septembre 2013

Comme c’était prévisible, l’expulsion du squat de la rue Mouron n’a été que le début de la traque. Toute la journée d’hier, la police a effectué des contrôles au faciès dans les parcs de la ville et les voitures de police ont sillonné les rues. La nuit venue, une partie des exilés se sont abrités dans un bâtiment abandonné, d’où ils ont été expulsés dès le matin. Aujourd’hui, patrouilles de police dans les parcs, véhicules de police devant la gare, le centre commercial, et devant le squat No Border du boulevard Victor Hugo, patrouilles de police dans les rues.

Un nouveau mur a commencé à s’élever à Calais pour fermer l’ancien squat de la rue Mouron. Deux vigiles et un chien gardent le bâtiment vide.

EXPULSION DE LA « BEER HOUSE »

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 5 septembre 2013

L’expulsion annoncée du squat de la rue Mouron à Calais, appelé « Beer House » a donc bien eu lieu ce matin. La moitié des occupants avaient déjà quitté les lieux sans attendre, certains sont passés en Angleterre, d’autres sont partis à la recherche d’un autre lieu pour dormir ou ont quitté Calais s’ils en avaient la possibilité.

La police est arrivée après neuf heures et demie, tout le monde était déjà réveillé et avait préparé son sac. La police a commencé par repousser les associatifs et les journalistes présents un peu plus loin dans la rue. Les policiers sont ensuite entrés dans les bâtiments et en ont fait sortir les habitants.  Aucune décision d’expulsion ne leur a été signifiée. Ils ont pu emporter leur sac et éventuellement leur couverture.

Quand tous les exilés ont eu quitté les lieux, le sous-préfet a fait un briefing aux journalistes et leur a fait une visite guidée. Les membres des associations humanitaires (mais pas les autres militants et bénévoles) ont ensuite été autorisés à accéder à l’intérieur, pour pouvoir avant que le hangar soit muré, récupérer les affaires personnelles et couvertures restées sur place.

Un peu plus loin dans la rue, la police a fait asseoir sur le trottoir les demandeurs d’asile auxquels un hébergement a été proposé. Des taxis sont venus les chercher pour les emmener sur leurs lieux d’hébergement. Ils auraient été une dizaine à partir ainsi, nous n’avons pour l’instant aucune information sur le type d’hébergement proposé. Une dizaine de relogements pour 150 à 200 habitants à la fin de la semaine dernière. Les autres personnes sont parties avec leur baluchon et sont à la rue.

Expulsion sans brutalité policière, comme à chaque fois qu’elle est annoncée et que la presse est là, mais violence de l’expulsion pour ceux qui se retrouvent à la rue.

Trois sujets d’inquiétude :

  • la « Beer House » était un ancien cash and carry où un important stock d’alcool, notamment de bière, avait été abandonné ; certains des habitants en ont consommé en quantité, quotidiennement, pendant des mois, comme vous et moi le ferions si nous étions bloqués sans avenir au détour d’un parcours de galère à travers l’Europe. Sans suivi médical, brutalement sevrés, que vont-ils devenir ?
  • la police va-t-elle chasser les expulsés de lieu en lieu au fur et à mesure qu’ils trouvent où s’abriter, de jour comme de nuit, pendant des semaines, comme ça s’est déjà passé auparavant, notamment depuis l’élection de François Hollande ?
  • les fuites orchestrées par la préfecture et la mairie annoncent d’autres expulsions dans les semaines qui suivent. Qu’en sera-t-il, et Calais sera-elle jetée dans le même chaos que sous Besson à l’automne 2009 ?

En clair, combien vont payer les exilés la propagande électorale que mènent la main dans la main Valls et Bouchart ?.

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DORMIR A L’ARRACHE

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 11 septembre 2013

Chassés des bâtiments abandonnés où ils essayaient de s’abriter les expulsés du squat de la rue Mouron dorment dans les buissons, sous des auvents, sous les ponts, partout où ils peuvent trouver un semblant d’abri contre la pluie et contre les regards de la police prête à les déloger.

En marchant dans les rues au matin, on peut voir les camionnettes des services municipaux emporter des couvertures à la déchetterie, souvent après l’intervention de la police, ou des couchages laissés sous un abri dans l’espoir de les retrouver le soir au même endroit. Des Calaisiens solidaires ouvrent une nouvelle fois leur porte, mais ne peuvent pas accueillir plusieurs dizaines de personnes. Quant au nouveau squat ouvert par No Border, il serait en ce moment même en cours d’évacuation. Expulsion illégale, comme souvent, puisque le délai de flagrance est passé depuis longtemps et qu’aucune procédure judiciaire n’a été entamée.

Crédits : Julien Saison

Crédits : Julien Saison

CALAIS : LA SITUATION S’AGGRAVE

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 13 septembre 2013

Les Syriens et les Africains expulsés la semaine dernière du squat de la rue Mouron se sont dispersés en petits groupes, après avoir été chassés de l’ancien hôpital et d’un bâtiment désaffecté de la rue Mouron, à quelques centaines de mètres de leur point de départ. La plupart dorment dans des buissons, sous des auvents, sous les ponts. Ils se lèvent souvent à l’aube pour éviter d’être délogés.

Une partie des Africains sont partis à l’autre bout de la ville, près du Fort Nieulay, où un autre groupe expulsé le 8 juillet des cabanes qu’il avait construites à abri d’un buisson s’était réinstallé dans un bosquet voisin. Tous on été expulsés hier matin, une partie d’entre eux ont été arrêtés. Les effets personnels ont été jetés aux ordures par les services municipaux.

Une partie des expulsions sont illégales. Celle du nouveau squat de la rue Mouron : une procédure de flagrance valable pendant les premières 48h d’occupation a été utilisée alors que le lieu a commencé à être utilisé dès jeudi 5 septembre et a été évacué lundi 9. De même pour le nouveau squat ouvert par des militants de No Border rue des Soupirants vendredi 6 septembre et évacué mercredi 11. La procédure utilisée pour l’expulsion et la destruction du campement près du Fort Nieulay est inconnue.

Les cinq Soudanais en instance d’expulsion passent devant la cour administrative d’appel de Douai cet après-midi.

Les militants No Border arrêtés lors des interventions de police de ces derniers jours ressortent de garde-à-vue avec un rappel à la loi pour refus de prélèvement d’ADN, ce qui veut dire que la police est en train d’organiser le fichage génétique des opposants à la politique migratoire du gouvernement.

DISTRIBUTIONS SOUS PRESSION POLICIÈRE

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 14 septembre 2013

À nouveau contrôles de police avec palpations corporelles systématiques à l’accès au lieu de distribution des repas hier soir vendredi. Le prétexte : une altercation la nuit précédente qui s’est soldée par des coups de feu et un ou deux blessés, la police ne sait pas trop. Bien entendu, aucun passeur ne s’est présenté à la fouille avec des revolvers dans les poches. Le but n’a rien à voir avec le prétexte.

Ce genre de dispositif a au moins quatre utilités :

  • il rend visible que les autorités font quelque chose, même si c’est parfaitement inutile ;
  • il stigmatise les exilés et leur violence supposée à un moment où les expulsions et la mise à la rue de dizaines de personnes donne une mauvaise image de la politique menée à leur encontre ;
  • il participe du harcèlement par l’effet  de la présence policière : ça dissuade  les exilés de venir manger et ça les coupe du coup des associations, et c’est humiliant de devoir se faire tripoter pour pouvoir manger ;
  • il décrédibilise les associations, associées à la police, dans un moment où le soutien et la solidarité sont particulièrement nécessaires.

Un énième groupe a été découvert dans un camion-citerne de produits toxiques ou irritants, effet des opérations de déguerpissement sur la prise de risque.

À nouveau contrôle et fouille aujourd’hui samedi à la distribution du midi. Toujours aucun passeur chargé de pistolets.

PARLONS DES SQUATS

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 27 septembre 2013

Il est beaucoup question de squats ces derniers temps. Dans la bouche de la maire de Calais, ils sont dix en juin, vingt en juillet, trente en septembre. Faire apparaître un phénomène comme nouveau permet de faire apparaître comme nouvelles les réponses déjà appliquées sans efficacité. Ainsi des squats et des expulsions.

Avec la fermeture du centre de Sangatte, les exilés étaient toujours à Calais, mais se trouvaient sans lieux pour eux. Ils sont donc trouvé des lieux divers pour s’abriter, parfois invraisemblables comme des tuyaux destinées à des canalisations près d’un chantier, ou d’anciennes portes d’écluses mise à quai. Plus couramment des tentes ou des cabanes dans les taillis, ou des bâtiments vides, ce qu’on appelle communément des squats. Il y a donc des squats depuis que les exilés n’ont plus de lieu pour les accueillir, et il y en aura encore tant qu’il n’y aura pas de nouveaux lieux d’accueil.

Ces squats sont plus ou moins nombreux, selon le nombre d’exilés et leur plus ou moins grande dispersion. Les périodes de forte pression et d’expulsions en série comme en ce moment conduisent les gens à se disperser en groupes plus petits.

Mais s’il y a des squats, c’est qu’il y a des bâtiments vides, et ceux-ci se multiplient à Calais : maisons, commerces, entrepôts, bâtiments industriels, laissés à l’abandon parfois depuis des années, ils sont le signe de la crise qui atteint Calais et qui s’aggrave.

Est-il si grave que des sans-abris s’abritent dans des bâtiments vides ? Ce qui est grave, c’est la crise économique et sociale dont la multiplication des bâtiments vides est le signe. Ce qui est grave, c’est qu’il y ait des gens sans abris. Ce qui est grave, c’est qu’une part croissante de la population calaisienne vit dans une économie de survie, avec des activités comme la récupération de métaux dans les bâtiments vides.

Plutôt que lancer une énième chasse aux migrants, nos politiques pourraient consacrer la même énergie et les mêmes moyens à trouver des réponses à la crise qui touche le territoire et ses habitants. Tout le monde s’en porterait mieux, migrants de passage et habitants du Calaisis.

Crédits : Julien Saison

Crédits : Julien Saison

À LA DISTRIB’

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 7 septembre 2013

Chaque soir à 18h, c’est la distribution de repas pour les exilés. Parmi eux, les expulsés du squat de la rue Mouron. Jeudi, c’est le désarroi qui l’emporte (l’expulsion a eu lieu jeudi matin), après une journée d’errance dans la ville et avec l’inquiétude  « où dormir le soir ? Vendredi, la tension est palpable après une deuxième journée d’errance, avec le retour de la pluie, le manque de sommeil de ceux qui ont tenté de fermer l’œil dans un fourré, sur un banc ou sous un pont, ou de ceux qui se sont abrités dans l’ancien hôpital et ont été réveillés par la police au milieu de la nuit et arrêtés au matin. Et pour ceux qui étaient devenus accros à l’alcool  dans le squat de la rue Mouron (un ancien cash and carry, d’où son surnom : « Beer House ») le manque lié au sevrage. La faim s’ajoute à tout cela, dans le squat, il était possible de garder et de cuire des aliments, maintenant le repas de six heures est le seul de la journée. La tension est palpable, une bagarre manque de partir pour un rien. Samedi soir, la tension est moins marquée, le samedi il y a aussi un repas le midi. Mais la fatigue s’est accrue et l’amertume creuse les traits. Beaucoup sont désorientés et en demande de tout. Les nouveaux arrivent dans un monde sans repère.

Et les bénévoles gèrent. Comme d’hab’, à chaque fois qu’un ministre, un préfet ou la maire décident de jeter les exilés dans le chaos. On ne sait même plus vraiment si c’est Besson ou Valls qui doit venir à Calais ces prochaines semaines, tant les ministres se succèdent et se ressemblent, tant les expulsions en série de campements et de squats à Calais semblent être un exercice obligé de tout ministre de l’intérieur en quête d’ascension.

Les bénévoles gèrent, mais digèrent de plus en plus mal.

LA VIE D’UN SQUAT d’EXILES

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 4 septembre 2013

C’est généralement après une expulsion, et souvent une série d’expulsions, qu’un nouveau squat se constitue. Il n’est d’abord qu’un dortoir précaire, par crainte d’une nouvelle expulsion qui peut venir d’un jour à l’autre. Si l’expulsion ne vient pas, les habitants s’installent, et la vie s’organise.

Un ou plusieurs foyers apparaissent, si l’espace est suffisamment grand un peu à l’écart des endroits où on dort. C’est autour de du feu que l’on se rassemble, que l’on discute, qu’on partage le thé et le café, qu’on cuisine, qu’on reçoit les gens venus en visite. On mange assis par terre, un peu plus loin. Un endroit le plus à l’écart possible est sacrifié pour servir de WC. Un autre espace sert à entasser les détritus, puisque la mairie ne ramasse pas les poubelles devant les squats.

Précaire et dans le dénuement, la vie s’organise donc. Quelques repères et un tout petit peu de  de stabilité apportent un sentiment de sécurité minimum pour ne pas être  détruit.

Expulser, c’est jeter ces personnes dans l’incertitude non pas du lendemain mais de l’endroit où ils pourront chaque nuit, peut-être dormir. C’est le manque de sommeil qui s’accumule puisque la police déloge la nuit sous les ponts et dans les parcs et expulse au petit matin ceux qui ont réussi à s’abriter dans un endroit discret. C’est le manque de sommeil qui s’additionne à l’angoisse et à la perte de repère. La traque de lieu en lieu après expulsion peut durer plusieurs semaines. Dans le langage des organisations de défense des droits de l’homme, on appelle ça « traitement inhumain et dégradant », il s’agit de détruire la personnalité sans tuer la personne.

Le squat de la rue Mouron était d’un dénuement total, et la présence d’un important stock d’alcool n’arrangeait pas les choses. Mais comme disent ses habitants en apprenant leur expulsion prochaine : « Même là, on ne nous laisse pas vivre ». Une vie collective s’était tissée dans ce lieu, l’expulsion va la détruire, sans offrir aux expulsés autre chose que l’errance.

Crédits : Julien Saison

Crédits : Julien Saison

CALAIS : LES VIOLENCES POLICIERES

Par Lou Einhorn-Jardin, extrait du Journal des Jungles numéro 0 (juin/août 2013)

En juin 2011, les No Border, soutenus par une vingtaine d’associations locales, nationales et internationales de soutien aux exilés et de défense des Droits de l’Homme remettent au Défenseur des Droits (1) un rapport sur les violences policières que subissent les exilés dans le Calaisis. Ce rapport comprend de nombreuses vidéos et témoignages du harcèlement policier.

Suite à une enquête, il a relevé et dénoncé plusieurs abus dont des contrôles d’identité, des interpellations et des conduites au commissariat de Coquelles sur une même personne dans un délai rapproché, y compris sur des étrangers en situation régulière, des visites répétées sur les lieux de vie ainsi que des comportements policiers individuels de provocations ou d’humiliations sur des migrants. Des destructions de dons humanitaires et d’effets personnels ont également été rapportés. Enfin, des expulsions hors de tout cadre juridique ont été observées. Le Défenseur des Droits a appelé la police à cesser ces agissements irrespectueux. Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur, a répondu que ces faits étaient non vérifiables et anciens, niant tout en bloc. Le monde associatif a réagi par un communiqué de presse.

Depuis le rapport, les agissements illégaux de la police continuent.

Les associations appellent les migrants à leur signaler tout comportement irrespectueux de la part de la police, afin que ceux-ci soient transmis au Défenseur des Droits. Toute fermeture de squat, toute confiscation ou destruction d’affaires personnelles ou de matériel humanitaire (tentes, couvertures, duvets, etc.), tout contrôle d’identité près du lieu de distribution des repas, toutes visites répétées de la police dans le squat ou la jungle sont des éléments importants à faire connaître aux acteurs associatifs. Les témoignages peuvent être anonymes.

L’accumulation de preuves significatives pourra faire évoluer cette situation concernant les violences policières. Pour rappel, la police, qui a vocation à faire respecter la loi, est également tenue de la respecter, que l’on soit avec ou sans papiers.

1 : Le Défenseur des Droits en France est une autorité indépendante veillant au respect des droits et libertés ainsi qu’à la promotion de l’égalité.