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Migration : et si on laissait les demandeurs d’asile choisir leur pays d’accueil?
En prenant la présidence du Conseil, il y a six mois, la Finlande se fixait pour objectif notable de paver le terrain pour permettre une réforme de la politique migratoire et d’asile européenne jusque-là totalement bloquée. C’est à Helsinki que la France et l’Allemagne ont posé les premières pierres d’un mécanisme de répartition des migrants. A Tampere, que des spécialistes du droit européen de la migration ont été rassemblés pour tester une série de propositions de réforme, emmenés par une équipe de chercheurs belges. En ressort un programme présenté lundi devant un public épars de députés européens, « De Tampere 20 à Tampere 2.0 » (une référence au Conseil européen de 1999 de Tampere, un des textes fondateurs des principes de la politique migratoire européenne).
La Commission von der Leyen, fraîchement installée, souhaite présenter début 2020 un « nouveau pacte européen sur la migration » qui inclurait une réforme du règlement de Dublin, un système d’asile européen « réellement commun » et un renforcement de Frontex. Des pistes trouvant écho dans les propositions de Tampere. « Il faut un consensus entre la Commission, le Parlement et le Conseil », souligne le rapport des chercheurs, qui propose une « task team » qui ferait le tour des capitales européennes pour évaluer la situation et mesurer les attentes. Quitte à prendre le temps, dans un contexte politique où la question migratoire est extrêmement clivante. « Des conversations en profondeur seront nécessaires pour restaurer la confiance et faciliter une réflexion innovante. »
1 . Laisser les demandeurs choisir leur pays d’accueil
C’est LE casse-tête européen de ces dernières années. Selon le règlement de Dublin, c’est le pays d’entrée dans l’Union qui a la charge de gérer le dossier d’asile d’un nouveau demandeur. Le système, adopté dans sa dernière mouture en 2013, induit une surcharge automatique pour les pays à l’extérieur de l’espace européen qui sont des points d’entrée, comme la Grèce, l’Italie ou désormais l’Espagne. Depuis la crise de l’accueil de 2015-2016, un large consensus reconnaît le règlement comme obsolète et inéquitable, pour autant, il demeure le socle de la politique migratoire européenne. Mais toute tentative de réforme tentant de rééquilibrer la charge s’est heurtée, ces dernières années, à une opposition frontale de pays d’Europe de l’Est, notamment, mais pas seulement.
A ce paradoxe, les chercheurs belges apportent une réponse ambivalente : repenser totalement les paradigmes, ne pas réformer.
« La proposition que la Commission a formulée en 2016 est extrêmement mauvaise, même si le Parlement l’a améliorée », assène Philippe De Bruycker, spécialiste du droit européen de la migration (ULB). « Elle propose qu’à partir du moment où un pays accueille plus que 100 % de sa capacité – selon des critères obtenus sur base d’un calcul complexe de la Commission –, on opérera des transferts vers les autres pays. Sauf qu’on le sait : ça ne fonctionne pas. Cela fait 25 qu’on essaie de faire des transferts. Même lorsqu’ils sont décidés, on ne parvient pas à les rendre effectifs. »
En guise de contre-modèle, la note propose… d’écouter le souhait des migrants. Et permettre à un demandeur d’asile voulant aller en France, d’aller en France. « Pour des raisons politiques, de mauvaises raisons politiques, on refuse de donner le choix aux migrants, comme s’il fallait les punir. On refuse le système le plus simple et le plus efficace en évoquant l’effet d’appel d’air : s’ils savent qu’ils peuvent choisir alors d’autres viendront. Mais c’est très discutable. »
Quant au risque d’un nouveau déséquilibre, qui chargerait les pays les plus attrayants économiquement, les chercheurs proposent d’introduire un système de solidarité financière et opérationnelle : des fonds européens seraient attribués et des équipes européennes se chargeraient de la procédure d’asile. « Dans le contexte actuel, c’est invendable. Mais on aura eu le mérite d’aborder le problème sur une base rationnelle », défend le professeur de l’ULB.
2. Revoir les critères de solidarité
« On n’a jamais mené d’étude sérieuse et objective pour juger de l’ampleur des déséquilibres entre les Etats membres », relève Philippe De Bruycker. Les experts proposent d’introduire de nouveaux critères pour calculer les inégalités réelles des pays en matière d’accueil des demandeurs d’asile et de gestion des frontières. « L’idée est de ne plus réfléchir en termes de fardeau mais de capacité réelle. Jusqu’à présent, on prend en compte le nombre de demandeurs d’asile et la longueur de la frontière mais il faudrait peut-être relativiser la charge par rapport au PIB, par exemple. L’Allemagne bénéficiera bientôt de davantage de fonds pour l’asile que la Grèce ou l’Italie. Le pays a accueilli beaucoup de demandeurs d’asile, certes, mais est-ce qu’il a davantage besoin de fonds européens ? »
3. Centraliser l’évaluation de l’asile
En 2018, 85 % des personnes ayant déposé une demande d’asile en Irlande ont reçu un titre de séjour. Ils étaient à peine plus de 10 % en République Tchèque. Ces écarts d’un pays à l’autre (ici, les deux extrêmes) sont symptomatiques de ce qu’on appelle « la loterie de l’asile » : un même dossier aboutira à des décisions différentes malgré des règles communes. Les chercheurs proposent donc de renforcer le bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) qui édicterait les directives concernant l’évaluation des risques dans les pays d’origine. Les Etats seraient obligés de s’y conformer, sauf à spécifiquement motiver leur décision d’y déroger.
S’il est plus juste, le modèle pose cependant la question de l’instance de recours, chaque demandeur ayant droit de faire appel de la décision. « Le risque, c’est que la Cour de justice de l’Union européenne, qui pourrait être désignée comme compétente, se retrouve saturée, reconnaît Philippe De Bruycker. Il faut évaluer les solutions possibles pour éviter de surcharger les services. »
4. Mettre fin aux contrôles aux frontières internes
Qui dit migration, dit gestion des frontières. Les chercheurs soulignent que le retour des frontières internes dans l’espace Schengen a largement outrepassé l’exception provisoire autorisée par les traités. « Ces contrôles ont un effet boule de neige toxique aux dépens de la libre circulation en Europe », relève Marie De Somer, chercheuse à la KULeuven, co-autrice de l’étude. Or cette sécurisation se justifie peu au regard de son efficacité, jugent les experts, qui y voient davantage un moyen de rassurer les populations. Un « scénario favorable » serait de remplacer les contrôles systématiques par des contrôles mobiles aléatoires dans la région frontalière, voire à l’intérieur des terres.