Le Conseil constitutionnel consacre pour la première fois un principe à valeur constitutionnelle de fraternité, créant ainsi une protection des actes de solidarité. Il est désormais acquis que chacun a « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans condition de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
Au moyen d’une réserve d’interprétation, il neutralise les termes indécis du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui n’excluaient de la répression que certains actes de solidarité. Il impose qu’aucun acte humanitaire, quelle que soit la prestation à laquelle il se rapporte, ne soit puni au titre de l’aide au séjour irrégulier ou à la circulation irrégulière. Il neutralise également la condition restrictive qui voulait que la personne étrangère aidée se trouve dans une situation critique au point que sa dignité ou son intégrité physique soit menacée.
En somme, il n’y a pas lieu de trier entre les aidant·e·s, et moins encore entre les aidé·e·s.
Au moyen d’une abrogation partielle, il censure la loi en tant qu’elle refuse cette même immunité pour les actes humanitaires consistant dans un transport accessoire au séjour irrégulier des personnes.
Cette décision revient ainsi à condamner la politique d’intimidation et de répression des aidants solidaires que subissent quotidiennement à Calais, à la Roya ou dans le briançonnais celles et ceux qui apportent leur aide désintéressée aux personnes migrantes.
Mais le combat est loin d’être terminé : le législateur doit maintenant se remettre à l ‘ouvrage, et c’est bien le sens de l’effet différé que le Conseil constitutionnel a donné à l’abrogation partielle de la loi. Et alors que le projet de loi sur l’asile et immigration est en débat, les amendements adoptés à l’Assemblée ne suffiront pas à mettre la loi française en conformité avec ces nouvelles exigences constitutionnelles.
Tant que subsistera un texte d’incrimination générale qui pénalise les personnes ayant aidé, sans contrepartie manifestement disproportionnée, des exilé·e·s et qui impose aux aidant·e·s de prouver leur but humanitaire pour invoquer l’immunité, la solidarité ne sera pas véritablement une liberté fondamentale. Nos organisations le rappellent : la solidarité n’a pas besoin d’être exemptée.
Surtout, à l’heure où les frontières tuent et où seule l’action des aidant·e·s protège les migrant·e·s de ce destin intolérable, le législateur doit affirmer que le principe de fraternité ne s’arrête pas aux frontières et dépénaliser l’acte fraternel consistant, pour des motifs humanitaires, à aider des personnes à gagner le territoire national. C’est à cette seule condition qu’il pourra véritablement être affirmé que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle qui prime sur l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, non seulement juridiquement, mais bien concrètement, quand il s’agit de sauver des vies.
Les organisations qui se sont constituées intervenantes volontaires:
La Cimade, le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope, Emmaüs France, la Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s (FASTI), la Fondation Abbé Pierre, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Cabane Juridique / Legal Shelter, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, le Syndicat des avocats de France (SAF), Terre d’Errance (62), le Syndicat de la Magistrature (SM).
Lire la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018.