Olivier Pecqueux | 29/09/2020, La Voix du Nord
L’été 2020, à Calais et sur l’ensemble du littoral, est marqué sur le front de la crise migratoire par de spectaculaires traversées de clandestins à bord de petites embarcations. Pour comprendre ce phénomène des « small boats », point de tensions franco-britanniques, il faut analyser cinq années d’une logique d’enfermement.
Comme une prison à ciel ouvert. Dans le Calaisis, les clôtures haute sécurité accompagnent automobilistes, cyclistes et piétons dans leurs trajets sur l’ahurissante distance linéaire de 65 km. Soit 26 000 panneaux rigides soudés. Ces chiffres, édifiants, sont inédits. Jamais la problématique migratoire n’est abordée sous cet aspect le plus spectaculaire de l’hypersécurisation. 65 km, c’est presque un aller-retour Calais-Douvres. Par la route, c’est ce qui sépare Calais de La Panne, à la frontière belge.
Ce total de 65 km n’inclut pas les portions de barrières doublées, voire triplées, dans un indigeste mille-feuille de clôtures. Ni le mur anti-franchissement de la rocade portuaire (1 km de long), avant une station de carburant inédite en France, cible des passeurs, comme emmurée elle aussi tellement elle ressemble à une prison.
Quatre mètres de hauteur
À Calais, Coquelles, Fréthun et Peuplingues, villes qui hébergent le port et le tunnel sous la Manche, ces 65 km de panneaux rigides ultra-sécuritaires ont été installés à partir de 2015. Ils sont à double fil horizontal, avec des mailles très serrées. Doublés dans leur partie basse, pour décourager les pinces coupantes. Rétractables dans leur partie supérieure, afin de faire chuter un intrus. Surplombés de ronces concertina, barbelés acérés comme des lames de rasoir.
Sur catalogue, ces grillages mesurent entre deux et six mètres. Dans le Calaisis, ces panneaux anti-intrusion se dressent sur quatre mètres de haut pour deux mètres cinquante de large. Aujourd’hui, les images de ces inhospitalières murailles d’acier contrastent avec le renouveau de Calais, dont le tourisme semble ressusciter.
« Les barrières, c’est la matérialisation de l’hypocrisie britannique. »
« Les barrières, c’est la matérialisation de l’hypocrisie britannique dans leur politique contre l’immigration clandestine », commente, amère, Faustine Maliar. À 25 ans, la conseillère régionale et proche de la maire LR de Calais, Natacha Bouchart, a toujours connu les crises migratoires, apparues à la fin des années 90. Elle goûte peu les reproches des Britanniques. Dépassés par le phénomène des « small boats », ils taxent la France de laxisme.
« Une fois en Angleterre, les migrants ne font pas l’objet de contrôles d’identité et travaillent pour moins cher que la main-d’œuvre locale. C’est ça qui favorise l’immigration clandestine », accuse Philippe Mignonet, adjoint au maire de Calais en charge de la sécurité, polyglotte qui fuit les médias britanniques, selon lui naïfs complices d’un mensonge d’État. « Oui, l’hypersécurisation du Calaisis a modifié la donne, les passeurs ont compris que c’est plus facile de traverser à bord de small boats. »
Les passeurs s’emparent de la mer
Le démantèlement de la « jungle » (2016) et la multiplication des barrières (2015-2020) n’y ont rien changé, Londres reste attractive. Les passeurs ont pris la mer dès la fin 2017 et le marché est florissant. En huit mois en 2020 (chiffres arrêtés au 31 août), la préfecture maritime recense 548 tentatives ou traversées impliquant 6 200 migrants. Contre 203 tentatives ou traversées impliquant 2 294 migrants pour toute l’année 2019 (avec des critères de comptage plus larges).
Le Tunnel devenant presque infranchissable, le port et son extension prenant des allures de forteresse (voir notre infographie), les tentatives désespérées défraient la chronique. En kayak au mois d’août, sur un bateau gonflable avec un mort quelques jours plus tard, sur des planches et des bouteilles en plastique en guise de flotteurs en juillet 2017… Mais la majorité des traversées se fait sur des embarcations semi-rigides équipées de moteur. Des go fast où la marchandise est humaine. Avec un tarif moyen de 3 000 € par personne. Les passeurs font preuve d’adaptation, leur entreprise ne connaît pas la crise. En mer, on ne plante pas de clôture.
Au tunnel, de 14 000… à 14 intrusions en quatre ans
La réputation du tunnel sous la Manche s’est construite autour de sa sûreté. Il fallait effacer ces images désastreuses, en 2015 et 2016, de migrants courant sur les quais. Outre la disparition d’une centaine d’hectares de végétation, le creusement de fossés et l’inondation volontaire de terrains, le survol de drones, les rondes d’un blindé de l’armée, l’apparition de brigades cynophiles et de caméras de vidéosurveillance, de nombreuses grilles ont poussé. Y compris face au complexe commercial Cité Europe.
Ces clôtures haute sécurité occupent 36 km sur les 650 hectares du site. Ce dispositif hors norme a des résultats : « L’effet est visible, les intrusions ne se font plus par les clôtures, quasiment infranchissables, pointe John Keefe, porte-parole de Getlink (Eurotunnel). Les tentatives se font quasiment exclusivement à bord de camions, et comme parallèlement nous avons mis en place sept points de contrôle, les personnes sont vite interpellées. » Les chiffres sont révélateurs. En 2016, 14 128 intrusions étaient recensées selon la préfecture du Pas-de-Calais et 17 622 personnes découvertes dans les poids lourds. En 2020, au 21 septembre, on comptait 14 intrusions recensées et 4 120 découvertes dans les camions.