79 réfugiés au coeur de tensions entre la ville et la préfecture

Mineurs isolés : « On ne sait pas trop ce qu’on va devenir »

Un jeune Guinéen, dans le gymnase Japy, à Paris (11e), le 4 août. AUGUSTIN LE GALL POUR « LE MONDE »

Isabelle Rey-Lefebvre

Evacués de leur campement parisien le 4 août, 79 jeunes réfugiés sont au cœur de tensions entre la Ville et la préfecture

La nuit fut courte et agitée, au campement du square Jules-Ferry, près de la place de la République (11e), à Paris. Les 79 jeunes migrants venus d’Afrique de l’Ouest – Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Bénin – étaient prévenus de leur évacuation, tôt le matin du mardi 4 août. Les agents des préfectures de police de Paris et d’Ile-de-France sont venus les réveiller vers 7 heures et les ont priés de faire leur paquetage avant de monter dans un car. Une vingtaine d’entre eux, notamment sept jeunes femmes, ont été conduits dans différents hôtels de la région parisienne, et 49 au gymnase Japy, tout proche, où les attendaient des lits de camp.

A 15 heures, la température sous la verrière du gymnase est déjà très élevée, avant même la canicule annoncée les jours suivant : « J’ai l’œil rivé sur la météo, j’ai prévu des frigos, de l’eau fraîche, des fruits et des brumisateurs, rassure Kamel Dif, responsable du pôle Urgences de l’association Alteralia, mandatée par l’Etat pour encadrer ces jeunes. Nous sommes là pour les aider, les nourrir, leur fournir ce dont ils ont besoin ; des tickets de métro, des jetons pour la laverie d’en face, mais aussi des médicaments… Le pire, c’est le désœuvrement : puisque nous sommes dans une salle de sports, demain arrivent les ballons de basket. » La venue d’une équipe médicale et des tests Covid sont programmés.

« On est en sécurité, ici, mais on ne sait pas trop ce qu’on va devenir », explique l’un des hébergés, d’origine malienne qui, comme ses compagnons d’infortune, veut garder l’anonymat. « Tout ce qu’on souhaite c’est aller à l’école, apprendre à lire, à écrire et s’installer ici, en France, résume son voisin ivoirien. Ce n’est pas Paris qui nous intéresse, nous sommes prêts à aller partout en France, même à être séparés après avoir galéré ensemble. » Un jeune Guinéen suit déjà, grâce à l’association Droit à l’école, des cours de français et de mathématiques et a repéré une formation en CAP de technicien de maintenance d’équipement industriel, dans un lycée d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) qu’il aimerait rejoindre dès la rentrée.

« Les rendre visibles »
« Il était temps que l’évacuation ait lieu car voilà cinq semaines que nous, associations, portons à bout de bras ce campement qui aura cependant permis de les rendre visibles et faire entendre leur voix, explique Corinne Torre, chef de mission à Médecins sans frontières. Mais la situation commençait à se dégrader : des prédateurs tournaient autour du camp, des SDF se montraient agressifs », témoigne Mme Torre.

Ces jeunes auront malheureusement eu le temps d’éprouver la violence de la vie dans la rue. « On m’a volé mes chaussures pendant que je dormais sur un banc public et mon téléphone dans le métro, raconte le jeune Ivoirien. La vie est dure à Paris, il n’y a pas de considération, pas d’accueil, tout est difficile : se nourrir, se laver, aller aux toilettes, alors qu’il y a tant de choses… », juge-t-il.

« Le gymnase n’est pas l’idéal et cela doit rester temporaire, insiste Mme Torre – la Ville de Paris, où commune et département se confondent, envisage d’ailleurs de récupérer cet équipement avant la rentrée scolaire – et nous ne l’avons accepté qu’à la condition que ces jeunes bénéficient du dispositif de prise en charge des mineurs par le département. C’est d’ailleurs l’une des obligations des Etats selon la Convention internationale des droits de l’enfant, comme le rappelle régulièrement le défenseur des droits », précise-t-elle.

Risque d’expulsion
Le fait d’être mineur est essentiel : il ouvre des droits à un logement, à des soins, à l’éducation, dans le cadre de la protection de l’enfance, sous la responsabilité des départements. S’il s’avère que certains de ces jeunes sont majeurs, ils rejoignent le droit commun des demandeurs d’asile ou des réfugiés, s’ils en obtiennent le statut, ce qui leur ouvre droit à un hébergement dans le cadre du dispositif national d’accueil (DNA), à la charge, cette fois-ci, de l’Etat. S’ils n’obtiennent pas le statut de demandeur d’asile ou celui de réfugié, ils peuvent aussi être accueillis par l’Etat dans les hébergements pour personnes sans abri, avec le risque d’être expulsés.

Or, la minorité de ces 79 jeunes gens est en question : une première évaluation faite par la Croix-Rouge a conclu à leur majorité à tous. Un recours à cette décision est pendant, devant le juge des enfants qui aura la décision finale, mais il n’est pas suspensif. « Nous les considérons donc comme majeurs, explique un porte-parole de la préfecture d’Ile-de-France, et ils ont vocation, comme les 3 469 personnes de la dizaine de campements démantelés depuis le 16 mars, à rejoindre le droit commun qui fonctionne très bien : être accueillis dans un centre d’examen de leur situation et orientés vers des hébergements, plutôt en province », assure-t-il.

« Présomption de minorité »
« Dès le début du mois de mars, nous avons proposé, en attendant la décision du juge, à la préfecture d’Ile-de-France de cofinancer à parts égales un centre d’hébergement pour ces jeunes mais elle a refusé », explique Dominique Versini, adjointe d’Anne Hidalgo chargée des droits de l’enfant et de la protection de l’enfance. « Nous avions identifié un immeuble appartenant à la Ville, l’avions visité avec des agents de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement et pensions que l’affaire était bien engagée », se souvient Yann Brossat, adjoint de la maire de Paris chargé du logement et de l’accueil des réfugiés. Mais la préfecture d’Ile-de-France a décliné l’offre : « L’Etat n’est pas favorable à la création d’un dispositif tiers car cela ne se justifie pas », a dit Magali Charbonneau, sa secrétaire générale, à l’AFP.

Une déclaration qui ne passe pas auprès des associations qui ont accompagné les jeunes depuis des mois : « La position de la préfecture est intolérable car il faut respecter la présomption de minorité, plaide Mme Torre. Nous avions obtenu des assurances de la Ville de Paris pour que ces jeunes soient pris en charge en tant que mineurset nous mènerons toutes les procédures juridiques possibles pour qu’ils le soient. »

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